Espen Mehlum du World Economic Forum a dressé un panorama nuancé de la transition énergétique mondiale lors de l’événement Smart Energy à Sion fin août, révélant des avancées encourageantes mais insuffisantes face à l’ampleur des transformations nécessaires.

La transition énergétique mondiale se trouve à un tournant critique. Alors que des progrès sont observés dans de nombreux pays, l’année 2024 a révélé les fragilités profondes de nos systèmes énergétiques face à une demande croissante et des bouleversements géopolitiques.

« Le système énergétique est profondément interconnecté », explique Espen Mehlum. «Les politiques orientent l’offre, la demande, l’infrastructure et les marchés — mais le système est également façonné par l’innovation technologique, la géopolitique et le commerce, le climat et la nature, ainsi que les transformations économiques et sociales. »

Cette interconnexion complexe se manifeste aujourd’hui par des transformations rapides à travers de multiples dimensions. Technologiquement, le solaire, l’éolien, les batteries et l’électromobilité ont connu une montée en puissance spectaculaire. L’intelligence artificielle et la digitalisation débloquent désormais de nouvelles optimisations — tant du côté de la demande qu’au niveau opérationnel — tout en ajoutant de nouvelles charges au système.

Mais selon Espen Mehlum, « le véritable changement de donne provient de la convergence technologique : énergie plus digital, robotique, matériaux avancés… — créant des solutions que les technologies individuelles ne peuvent fournir seules. »

Le trilemme énergétique : un équilibre délicat à maintenir
L’analyse du World Economic Forum met en évidence le défi persistant du « trilemme énergétique » : concilier sécurité, durabilité et équité. Aujourd’hui, environ 22% de l’utilisation énergétique mondiale provient de l’électricité, tandis que 78% vient de divers combustibles.

Malgré une forte croissance des renouvelables et un record de 2,1 milliards de dollars d’investissements dans les énergies propres en 2024, plus de 37 des 50 gigatonnes d’émissions de gaz à effet de serre mondiales provenaient encore de la consommation et production énergétique. Parallèlement, 750 millions de personnes manquent d’électricité et plus de 2 milliards n’ont pas accès à des moyens de cuisson propres.

Les préoccupations de sécurité énergétique sont également en hausse. « La dépendance excessive envers certains fournisseurs, les infrastructures vulnérables et vieillissantes combinées aux risques géopolitiques forcent les nations à repenser leur résilience », note Espen Mehlum. « Les pannes d’électricité en Espagne et au Portugal en 2025 illustrent que les réseaux électriques, le stockage et la flexibilité doivent suivre le rythme de l’expansion des renouvelables. »

Des progrès encourageants mais inégaux
L’Index de Transition Énergétique (ETI) 2025 du World Economic Forum révèle des progrès modestes mais généralisés dans la transition énergétique. Cependant, 2024 a mis à l’épreuve les systèmes énergétiques avec une demande énergétique record (+2,2%) et des perturbations des chaînes d’approvisionnement qui ont exposé des vulnérabilités systémiques. 65% des pays ont amélioré leurs scores, principalement les économies avancées, tandis que 28% ont progressé dans toutes les dimensions énergétiques. La Suède occupe le premier rang mondial, la Suisse se classant 5ème.

« Tous les scénarios montrent un déclin du charbon, une montée des renouvelables, et une intensité carbone plus faible. Les trajectoires divergent sur le pétrole, le gaz et la demande énergétique. »

Une transformation majeure se dessine avec l’émergence de « nouveaux centres de demande incluant les centres de données, le transport et l’hydrogène, qui devraient connaître une croissance rapide de la demande électrique. » Les centres de données alimentés par l’IA, le transport électrifié et la production d’hydrogène propre redessinent la carte de la consommation énergétique mondiale.

Trois priorités urgentes pour l’avenir

Face à ces défis, Espen Mehlum identifie trois priorités urgentes:

  1. Redéfinir la sécurité énergétique pour tenir compte des réseaux, des minéraux critiques et de la résilience numérique dans un monde électrifié et impacté par le climat
  2. Combler les écarts d’investissement, particulièrement dans les marchés émergents et les nouvelles technologies
  3. Débloquer les goulots d’étranglement dans les infrastructures, les autorisations et la main-d’œuvre

Les pays qui réussissent le mieux leur transition énergétique sont ceux qui « couplent l’ambition avec la capacité de mise en œuvre. » Les facteurs clés de succès restent constants : réglementation prévisible et coopération, infrastructures modernisées, capital humain et compétences, écosystèmes d’innovation, et finance mobilisée — en particulier pour les projets en phase précoce et les premières réalisations commerciales.

Alors que les systèmes énergétiques mondiaux naviguent entre transformation technologique et résilience face aux chocs, le message d’Espen Mehlum est clair : la transition énergétique progresse, mais son rythme et sa portée doivent s’accélérer pour répondre aux défis climatiques et de sécurité du 21ème siècle.

Propos recueillis le 29 août 2025 lors de l’Event Smart Energy