Le secteur énergétique suisse traverse une mutation profonde depuis une quinzaine d’années. D’un système historique basé sur les énergies fossiles et l’hydroélectricité, nous évoluons vers un monde où la transition énergétique et les énergies renouvelables sont devenue centrales. Ce bouleversement a des répercussions sur les réseaux et leur flexibilité. Dans ce contexte, il sera bientôt contreproductif de produire de l’électricité sans se poser de question, au risque de ne pas être rémunéré. Cette analyse a été faite par Nicolas Charton, directeur d’E-Cube, lors de l’Event Smart Energy de fin août dernier.

Il y a quinze ans, le paysage énergétique suisse présentait une stabilité rassurante. « À l’époque, nous étions dans un système essentiellement historique du point de vue de la transition énergétique », rappelle Nicolas Charton. Les investissements se concentraient massivement dans les énergies fossiles, tandis que l’impact de la transition énergétique restait marginal. Les prix du marché électrique oscillaient autour de 30 francs le MWh, soit des niveaux très bas.

La flexibilité du système reposait principalement sur l’hydroélectricité et les centrales fossiles, sans contraintes particulières sur les réseaux. « L’hégémonie du pétrole dominait la consommation », souligne le directeur d’E-Cube, évoquant une époque où l’organisation du marché restait relativement simple.

La transition énergétique au cœur du système
 
Aujourd’hui, le tableau a radicalement changé. La transition énergétique n’est plus un élément marginal, mais constitue le cœur du système énergétique. « Les investissements dans le renouvelable dépassent le fossile au niveau mondial », constate Nicolas Charton. Cette évolution s’accompagne d’une explosion des coûts de réglage, multipliés par dix, et nécessite des investissements massifs dans les technologies de stockage.

Les contraintes se multiplient également sur les réseaux de transport et de distribution, le photovoltaïque dépassant parfois leur capacité. « Nous entrons dans un mur d’investissement », prévient le spécialiste, particulièrement pour atteindre les objectifs politiques fixés pour 2035 dans le secteur solaire.

Le véhicule électrique, une révolution mondiale
L’essor du véhicule électrique illustre parfaitement cette transformation. « Il y a treize ans, certains disaient que ce n’était pas crédible », se souvient Nicolas Charton. Aujourd’hui, l’Europe et la Suisse atteignent 20% de véhicules électriques dans les ventes, tandis que la Chine culmine à 50%. « En Chine, un SUV électrique coûte 10’000 francs », précise-t-il, soulignant une dynamique mondiale désormais irréversible.

En 2015 déjà, Nicolas Charton identifiait la flexibilité comme « une composante inexorable du système énergétique ». Malgré les obstacles liés aux prix bas et à l’organisation des systèmes de l’époque, il estimait qu’elle devait faire « partie intégrante de la stratégie à moyen et long terme ». Cette vision s’avère aujourd’hui prophétique. « Nous avons tellement d’imprévision sur le marché que nous devons encore acheter 43% du volume annuel à négocier sur le marché », explique-t-il. À l’époque, près de 90% des approvisionnements étaient assurés à long terme.

Les batteries, nouvel eldorado énergétique
Le développement des batteries stationnaires représente un enjeu majeur. « Il y a des centaines de MW en batteries stationnaires en projet pour l’équilibrage du réseau en Suisse », révèle Nicolas Charton. En 2023, 42% des installations photovoltaïques s’accompagnaient déjà de batteries. « J’investis tant qu’il y a du potentiel et je me rentabilise très vite », résume-t-il concernant la logique actuelle des investisseurs.

De nouveaux acteurs bouleversent les modèles traditionnels. Tibber, dans les pays nordiques, propose un modèle où le fournisseur ne prend aucun risque et sert de simple passerelle vers le marché. La plateforme propose ainsi au client les prix du marché de l’électricité. Au Royaume-Uni, Octopus Energy révolutionne l’approche en proposant véhicule, borne et approvisionnement en énergie pour environ 300 livres par mois, optimisant l’ensemble de la consommation avec un prix packagé.

Vision 2035 : vers un pilotage généralisé
Pour les dix à quinze prochaines années, Nicolas Charton se montre optimiste tout en soulignant les défis à venir. « Le point majeur sera la disparition complète du ‘je produis sans me poser de questions’ », prédit-il. Il faudra désormais piloter les actifs renouvelables, par exemple en réduisant sa production de photovoltaïque pour avoir une meilleure marge.

Cette évolution s’accompagnera d’une « érosion massive du modèle d’autoconsommation », car les coûts sur le réseau persistent tandis que le photovoltaïque ne vaudra pas grand-chose sur le marché. Un nouveau paradigme énergétique se dessine, plus complexe, mais potentiellement plus efficient et durable.

Propos recueillis le 28 août 2025 à l’occasion de l’Event Smart Energy