Quinze ans après l’émergence du secteur cleantech, les jeunes entreprises spécialisées dans les technologies énergétiques rencontrent des difficultés à croître rapidement. Un constat partagé par plusieurs fondateurs de start-up, lors d’un panel organisé fin août à Sion dans le cadre de l’événement Smart Energy. Les obstacles, souvent systémiques dans un secteur encore très conservateur peuvent difficilement être levés. Mais la mise en place de programmes d’accélération sur la durée pourrait être une solution.
Eric Plan, secrétaire de CleantechAlps, modérateur de ce panel de discussion, dresse un bilan mitigé du secteur. « En 2011, on présentait un réel réservoir de licornes potentielles pour le secteur de l’énergie avec l’arrivée des jeunes entreprises technologiques. L’écosystème a certes beaucoup évolué, notamment dans le domaine des smart grids, mais l’explosion attendue ne s’est pas concrétisée et l’énergie reste l’un des secteurs où l’on recense le plus de changements au travers de consolidations et de faillites ».
Malgré tout, les chiffres montrent une dynamique positive dans le domaine des technologies propres. Le nombre de start-up cleantech créées en Suisse est passé de 30 à 50 par an ces dernières années avec une forte croissance des investissements depuis 2019. Parmi les 614 start-ups cleantech recensées en Suisse en 2024, 8% d’entre-elles, soit une cinquantaine touchent directement le domaine des smart grids.
Des défis spécifiques au secteur
Les trois fondateurs présents sur le panel ont identifié plusieurs obstacles récurrents à l’absence de croissance exponentielle. Fabrizio Lo Conte, co-fondateur d’eSMART, une spin-off de l’EPFL spécialisée dans la gestion énergétique de l’immobilier résidentiel, pointe la difficulté de pénétrer les marchés sur un marché historiquement conservateur souffrant de la mainmise de gros acteurs. « On essaie de croître, mais il reste difficile de convaincre les grands promoteurs immobiliers. »
Simon Delalay, fondateur d’Imperix, société également issue de l’EPFL avec aujourd’hui 30 collaborateurs, développe des convertisseurs de puissance pour des clients dans plus de 50 pays, a soulevé un aspect encore souvent sous-estimé, celui de la complexité technique. « De notre côté, on a parfois de la difficulté à expliquer simplement notre technologie, même aux professionnels du secteur. Nous avons développé une technologie pointue, difficile à faire comprendre car elle disrupte la manière d’aborder le développement de nouveaux produits et services. De plus, le discours dans le milieu industriel est très difficile pour une jeune pousse qui doit démontrer sa pérennité pour rassurer un milieu conservateur et soumis à un environnement très concurrentiel. »
Un rythme de croissance bridé
La vitesse de développement constitue un frein majeur selon Fabrizio Lo Conte : « Le problème, c’est la vitesse à laquelle on peut croître sur le marché. Les technologies de l’énergie, cela prend davantage de temps que celles basées sur l’intelligence artificielle, par exemple. C’est lié aussi à l’historique d’un domaine très morcelé et de ses acteurs très conservateurs. »
L’instabilité réglementaire aggrave cette situation. « Sans vue à moyen terme, c’est difficile de se projeter. Tant que le cadre réglementaire n’est pas figé, il n’est pas facile pour les clients de prendre des risques en adoptant une nouvelle technologie », analyse Simon Delalay. « Le secteur a absolument besoin de visibilité sur le moyen long terme » poursuit–il.
Ces deux sociétés confirment clairement qu’une jeune entreprise doit dérisquer sa technologie aux yeux de ses clients et que le critère principal est une visibilité à long terme, synonyme de cadre légal stable et sur la durée… ce qui n’est de toute évidence pas le cas actuellement avec des changements fréquents au niveau national et à venir avec les discussions en cours sur le marché européen de l’énergie !
Des perspectives contrastées
Malgré ces difficultés, l’optimisme reste de mise. « C’est un secteur qui évolue lentement avec des impératifs forts du côté des clients et du marché mais les fondamentaux sont bons. On peut économiser des milliards d’euros en rendant flexible la production photovoltaïque par exemple », précise Florent Cadoux, fondateur de Roseau Technologies à Grenoble, spécialisée dans l’aide au dimensionnement des réseaux électriques. La dynamique du secteur dépend de l’équilibre à trouver entre la domination des gros acteurs convaincus qu’ils peuvent (presque) tout développer à l’interne (ou l’intégrer par des acquisitions le cas échéant) avec la multitude des petits acteurs qui ont besoin de solutions simples et flexibles pour rester concurrentielles.
Du côté des solutions, Eric Plan mise sur l’accompagnement dans la durée. « Il faut du temps pour réaliser l’industrialisation d’une technologie. Les programmes d’accélération sont peut-être la clé, pour autant qu’ils soient établis sur la durée et permettent un soutien sur le moyen/long terme ». EnovArk à Sion et son programme Watts Up? répond parfaitement à ce besoin. Face à ces enjeux, les start-up de l’énergie devront composer avec un environnement complexe, où la patience et la persévérance semblent être les maîtres-mots pour transformer le potentiel technologique en succès commercial.
Propos recueillis le 29 août 2025, lors de l’Event Smart Energy de Sion