Loi sur l’électricité : après le oui, quels changements à venir pour les GRD ?

En encourageant la production massive d’énergies renouvelables, la loi sur l’électricité adoptée par le peuple il y a quelques semaines pose des défis majeurs pour les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD). Comment entendent-ils y répondre ? Nous avons posé la question à François Fellay, directeur général de l’entreprise OIKEN.

Rappel des faits

Le 9 juin dernier, le peuple suisse a accepté à 68,72% à la Loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables. Ce « Mantelerlass » pose les bases nécessaires pour poursuivre les objectifs de la transition énergétique. Et c’est sans doute la plus grande refonte législative en la matière depuis la loi de 2007 prévoyant l’ouverture du marché de l’électricité. Si elle n’implique pas de saut technologique, elle pose toutefois des défis majeurs pour les GRD, qui doivent préserver l’équilibre des réseaux face à cette nouvelle donne.

Selon vous, quels vont être les changements les plus importants pour les GRD après la mise en œuvre de la loi ?

La loi va booster la production d’énergies renouvelables indigènes en facilitant la réalisation de projets de grandes installations. Pour un GRD, c’est finalement assez classique à gérer. Mais ce qui change plus fortement est le développement massif des nouvelles énergies renouvelables décentralisées, en particulier les installations solaires photovoltaïques. Il est là le vrai challenge ! La multiplication de ce type d’installations menace en effet l’équilibre de tous les réseaux si l’on ne met pas en œuvre les mesures adéquates pour réguler l’injection de courant. Car on ne pourra pas renforcer le réseau aussi vite que l’on pose des panneaux solaires !

Justement, quel est le rôle d’un GRD comme OIKEN dans cette nécessaire régulation ?

Tant que le réseau n’est pas prêt à assimiler cette nouvelle production, les GRD doivent écrêter les pics pour préserver l’équilibre. C’est l’une des possibilités à disposition pour stabiliser le réseau et qui est inscrite désormais dans la loi. Nous recommandons notamment aux propriétaires de grands toits de se renseigner suffisamment tôt auprès de leur GRD pour vérifier si le réseau a ou aura la capacité de soutirer cette énergie. En parallèle, il va falloir multiplier les unités de stockage, qui ont d’autant plus de sens économique dans un contexte d’extrême volatilité des coûts de l’énergie ; nous travaillons d’ailleurs en ce sens avec le CSEM pour le développement de telles solutions à l’échelle de quartiers.

La possibilité d’une tarification dynamique est également inscrite dans la loi ; quel est son intérêt ?

C’est un outil de pilotage de la flexibilité permettant de donner des incitations à la consommation ou à l’injection de courant en fonction de l’offre et de la demande sur le réseau. Et ce n’est rien d’autre qu’un changement de paradigme des tarifs jour/nuit que les GRD ont pratiqué pendant des années pour orienter les comportements des consommateurs. Mieux on agira sur ce comportement via le signal du prix, moins on devra renforcer le réseau et investir dans des solutions de stockage.

Comment allez-vous mettre en place cette tarification dynamique ?

L’installation de compteurs intelligents (smart meters) est un préalable technique indispensable à ce type de proposition commerciale. Nous prévoyons ainsi de déployer plus de 100 000 compteurs d’ici à fin 2027 (soit chez environ 80% de nos clients). Nous visons en priorité les 4 500 propriétaires d’installations solaires afin de modéliser rapidement ces informations, ce qui permettra de connaitre l’état du réseau en temps réel et de piloter de manière optimale la flexibilité. In fine, cela nécessite aussi une énorme transformation numérique de l’entreprise.

Cette nouvelle donne aura-t-elle aussi une incidence sur vos achats d’électricité sur le marché de l’énergie ?​

Oui, la multiplication des installations solaires décentralisées nous oblige à repenser la planification de nos achats d’électricité, en lien avec les aléas météorologiques, par essence imprévisibles au-delà du court terme. Pour vous donner un ordre de grandeur, uniquement sur le réseau géré par OIKEN, nous avons une différence de 40 MW (sur 100 MW) à équilibrer selon que le soleil brille ou non pendant la journée. C’est un énorme défi pour tous les réseaux !

Selon la loi, les GRD doivent également agir de façon à favoriser l’efficacité énergétique. Que pensez-vous de cette disposition ?

C’est une bonne chose ! En tant que GRD, nous avons notre part à jouer afin d’accompagner les clients dans leur manière de consommer l’électricité. Et pour pallier le manco d’énergies indigènes et renouvelables, il faut non seulement produire davantage mais surtout consommer moins et mieux, grâce à des mesures de sobriété et d’efficacité. Nous n’avons d’ailleurs pas attendu la loi pour mettre en place en ce sens notre programme « Efficiences » dès 2023 ; cet axe est très important pour OIKEN. Pour conclure, je dirais que loi initie une nouvelle ère. Comme toujours, c’est la période de transition qui sera la plus compliquée. En tant que GRD, nous prenons cette responsabilité d’adoucir au maximum les impacts pour nos consommateurs. Quoi qu’il en soit, il est préférable d’agir plutôt que de continuer à subir de plein fouet les crises, qu’elles soient climatiques ou liées à la géopolitique.

Propos recueillis par Elodie Maître-Arnaud

L'expert

François Fellay

François Fellay est directeur général de OIKEN, acteur romand de référence actif sur l’ensemble de la chaîne de valeur multiénergies.

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