Multiplication des installations photovoltaïques : un casse-tête pour les réseaux d’électricité ?

Avec 30% d’augmentation annuelle du nombre de nouvelles installations photovoltaïques, les réseaux d’électricité doivent absorber une production décentralisée de plus en plus importante. Pourra-t-on raccorder tous ces panneaux solaires sans compromettre son équilibre ? Nous avons posé la question à David Mottet, directeur Infrastructures réseaux chez Genedis.

Rappel des faits

La production de courant solaire a plus que doublé depuis cinq ans. Et conformément à la nouvelle loi sur l’électricité, elle devra encore être quasiment multipliée par cinq dans les dix années à venir. Si c’est une bonne nouvelle pour atteindre les objectifs de la transition énergétique, la multiplication des installations photovoltaïques n’est pas sans conséquence sur les réseaux électriques. Conçu pour acheminer le courant des grandes centrales de production vers les lieux de consommation, ceux-ci doivent désormais absorber une production décentralisée de plus en plus importante. Entre défis techniques et impératifs économiques, c’est l’ensemble de la chaîne de transport et de distribution de l’électricité qui doit aujourd’hui s’adapter à cette nouvelle donne.

Concrètement, où en sommes-nous en Suisse en ce qui concerne la production photovoltaïque ?

On comptait 1,2 GW de capacité photovoltaïque installée en 2023 dans notre pays. La progression est en moyenne de 30% par année. On retrouve d’ailleurs ces ordres de grandeur sur le réseau exploité par Genedis, avec 43 MW de capacité installée, contre 1,3 MW en 2011. Et nous prévoyons des pics de production solaire atteignant jusqu’à 2,5 fois la puissance actuelle de notre réseau d’ici à 2050. D’où la nécessité de développer dès à présent des projets pour le renforcer. Même si notre réseau est robuste, il ne sera en effet pas capable d’absorber toutes ces productions décentralisées à venir.

En tant que GRD, comment anticipez-vous ceci sur le plan technique ?

En nous basant sur les données des scénarios de la Confédération et sur divers outils de calcul, nous avons simulé une augmentation progressive des installations solaires sur notre réseau afin d’identifier les points faibles et les goulots d’étranglement. Nous avons ainsi établi un plan pluriannuel d’investissements, en fonction des urgences, et avons déjà commencé certains travaux. Nous mettons également en place des compteurs intelligents. Avec la multiplication des installations photovoltaïques, le défi sous-jacent est celui de la régulation des réseaux électriques. Les compteurs intelligents seront capables d’agréger de nombreuses données en temps réel, ce qui nous permettra notamment d’améliorer la qualité des données prévisionnelles transmises à Swissgrid.  

À quoi ces données prévisionnelles servent-elles ?

Comme tous les GRD, Genedis communique plusieurs fois par jour ses prévisions à son groupe-bilan. Elles sont transmises à Swissgrid qui doit établir des plans d’approvisionnement très précis pour assurer en permanence l’équilibre des réseaux. Pour établir nos prévisions, nous nous appuyons non seulement sur les données de consommation, mais aussi, et de plus en plus, sur celles de la production des installations solaires raccordées sur notre réseau. Or cette production est intermittente et dépend étroitement de l’ensoleillement ; la multiplication des installations décentralisées augmente donc le risque d’erreur dans nos prévisions.

Et que se passe-t-il en cas d’erreur dans les prévisions ?

Si la météo est finalement capricieuse, Swissgrid doit acheter de l’énergie dite d’ajustement pour répondre à la demande, et elle coûte cher. Inversement, si les installations photovoltaïques produisent davantage que prévu, Swissgrid doit revendre le surplus d’électricité à un prix plus bas que celui du marché, faute de pouvoir la stocker. Le coût de ces mesures correctives se répercute in fine sur la facture des consommateurs et pénalise les consommateurs-producteurs. Parallèlement au renforcement des réseaux, nous devons donc aussi imaginer d’autres modèles sans pour autant dissuader ceux qui investissent dans des installations solaires.

Le cadre réglementaire doit-il encore évoluer pour y parvenir ?

Il devrait en tout cas prévoir la possibilité pour les GRD de couper les productions solaires à certains moments. On sait qu’en écrêtant de 20% la puissance de pointe d’une installation, on ne perd finalement que 5% d’énergie sur l’année. Mais évidemment, ce n’est pas satisfaisant pour celui qui a investi dans une installation solaire ! On doit donc trouver un modèle pour le rémunérer même quand son installation est coupée, tout en poussant le plus possible à l’autoconsommation. Ce qui sera de toute façon bien moins coûteux que les renforcements de réseaux ou les mesures de régulation sur le marché de l’électricité ! On devrait aussi pouvoir imaginer, au niveau des groupes-bilan et sous l’impulsion de Swissgrid, une conduite centralisée des productions décentralisées afin de piloter ceci le plus finement possible.

Peut-on imaginer qu’un GRD refuse un jour la construction d’installations solaires supplémentaires ?

C’est possible en effet à certains endroits. Mais on peut aussi imaginer continuer à les autoriser et réserver leur utilisation pour renforcer la production hivernale d’électricité de la Suisse. Encore une fois, tout ceci doit être réglementé pour uniformiser le traitement des producteurs-consommateurs quel que soit le GRD dont ils dépendent, et faire en sorte que chacun y trouve son compte.

Propos recueillis par Elodie Maître-Arnaud

L'expert

David Mottet

Membre de la direction de Genedis, David Mottet est responsable Infrastructures réseaux. À ce titre, il pilote notamment les bureaux d’ingénieurs et les bureaux techniques chargés des projets de développement. Basée à Vernayaz (VS), Genedis est active dans les domaines de l’énergie et du multimédia. En mains publiques, elle dessert une cinquantaine de communes, du Valais central à l’Est vaudois.

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