Vers une autonomie énergétique locale : l’exemple d’une région pionnière

Rappel des faits
La Société électrique des forces de l’Aubonne (SEFA) a pris en 2019 le pari ambitieux de produire une énergie 100% locale et durable pour garantir l’approvisionnement des 27 communes de sa région. Hydraulique, solaire, chauffage à distance, éolien, biogaz, géothermie ou encore hydrogène, cette marche vers l’autonomie est portée par une stratégie à long terme de l’entreprise et implique de nombreux acteurs locaux. Avec « Cap 2028 », la SEFA confirme sa vision et sa position de moteur local de la « transformation énergétique ».
C’est en 2019 que vous avez fixé un premier cap pour 2025. Où en est la région sur le plan énergétique ?
Nous avons bien avancé sur l’approvisionnement de base en électricité de nos clients dits « captifs ». Aujourd’hui, nous produisons localement davantage d’électricité que nous n’en vendons, principalement grâce à notre barrage sur l’Aubonne et aux installations photovoltaïques de la région. Pour la chaleur, on est en route. Trois réseaux de chauffage à distance sont désormais opérationnels : une nouvelle installation et deux dont nous avons repris l’exploitation et que nous développons avec les communes partenaires (Saint-George et Givrins). Deux autres projets majeurs sont à l’étude à Aubonne et à Étoy (dans la zone du Littoral Park). Un partenariat a par ailleurs été conclu avec un agriculteur pour la production de biogaz, et nous lançons aussi une production locale de pellets à base de résidus de coupe. Entre autres…
Cette vision repose sur de lourds investissements. Comment financez-vous les projets ?
Sur les cinq dernières années, nous avons investi plus de 28 millions de francs – dans les infrastructures essentiellement et dans la transformation de l’entreprise, dont 12 millions pour la production d’énergie. D’ici à 2030, nous tablons sur 35 millions supplémentaires. Les marges générées par notre activité constituent la base principale de nos financements. Nos actionnaires – pour moitié les communes, à 30% d’autres acteurs énergétiques et à 20 % des privés – ont accepté de diviser par quatre les dividendes pour réinvestir. C’est un choix stratégique pour bénéficier d’une énergie locale et durable dans le long terme.
Comment embarquez-vous les communes actionnaires dans cette dynamique ?
Il ne s’agit surtout pas de les forcer, mais de les convaincre. Et chaque commune est sensible à des arguments différents. Pour certaines, c’est la protection de l’environnement ; pour d’autres, c’est la nécessité d’apporter des solutions concrètes aux propriétaires face aux exigences des lois climat, notamment via les réseaux de chaleur ; pour d’autres encore, c’est l’augmentation de la résilience. Nous mettons également en avant des arguments économiques pour convaincre les entreprises locales.
Quels sont les principaux obstacles à la mise en œuvre de cette vision ?
Le premier, c’est le coût. Celui des matériaux et du génie civil a explosé depuis la crise du Covid, avec des hausses de 20 à 30%. Ensuite, il y a les lourdeurs administratives ; les procédures sont longues et exigeantes, que ce soit pour le biogaz, la géothermie ou l’éolien. Enfin, on fait face à des attentes contradictoires, notamment lorsque l’on demande aux distributeurs d’investir dans de nouvelles installations tout en réduisant les marges et les taux d’intérêts autorisés… D’autant qu’avec l’ouverture prochaine du marché de l’électricité, il sera difficile de rester compétitifs face à des fournisseurs d’électricité moins chère – mais aussi moins durable.
Redoutez-vous cette ouverture du marché de l’électricité à la concurrence ?
Je la redoute, même si ce n’est pas une opposition de principe. Car on risque de comparer des choses incomparables : nous vendons une électricité produite localement, avec une forte valeur ajoutée environnementale, sociale et territoriale. Elle est évidemment un peu plus chère, mais elle soutient un tissu économique local, des emplois, des projets et des services (comme l’Arboretum). Ma crainte est que les clients ne voient que le prix, sans mesurer tout ce qu’il y a derrière chaque kilowattheure. Or si nous perdons trop de clients, nous perdons des marges, donc notre capacité à investir et à jouer notre rôle dans la transition énergétique. C’est pourquoi nous intensifions notre travail de communication, de pédagogie et de proximité.
Justement, quel rôle joue ce lien de proximité ?
Il est essentiel. Nous connaissons nos clients, nos autorités locales, notre tissu économique et nos réalités locales, ce qui permet de déclencher des projets qui n’intéresseraient pas les grands acteurs de l’énergie. Notre force réside aussi dans notre réactivité. Par exemple, pendant la crise énergétique, nous avons trouvé des solutions pour plafonner le prix du kilowattheure à 50 centimes, tandis que d’autres fournisseurs dépassaient un franc. Ce n’est pas juste une question d’énergie, c’est un engagement global dont nous sommes fiers !
Propos recueillis par Elodie Maître-Arnaud
L’expert

© Sigfredo Haro
Laurent Balsiger
Laurent Balsiger dirige la Société électrique des forces de l’Aubonne (SEFA) depuis 2018. Formé en génie rural à l’EPFL et titulaire d’un certificat en administration publique de l’IDHEAP, il était précédemment directeur de l’énergie au sein de la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud. Il est par ailleurs député socialiste au Grand Conseil vaudois depuis 2022.