Pompage-turbinage : une contribution essentielle à l’équilibre des réseaux

Rappel des faits
C’est un impératif : pour assurer la stabilité du réseau électrique, la production d’électricité doit en permanence être égale à la consommation. Dans un contexte suisse et européen de hausse des énergies renouvelables, les solutions de stockage à grande échelle doivent donc être renforcées afin de compenser leur variabilité. Véritables batteries géantes, les centrales de pompage-turbinage sont ainsi appelées à jouer un rôle majeur. Des dispositifs clés dans le contexte de la transition énergétique, mais dont la rentabilité à long terme dépendra notamment de choix politiques, parmi lesquels l’intégration au marché européen de l’électricité.
Quelle est la place des centrales de pompage-turbinage dans le futur énergétique de la Suisse ?
Nant de Drance permet de stocker de l’énergie à court terme, c’est-à-dire sur un échelon quotidien à hebdomadaire. La Suisse compte aujourd’hui une quinzaine de centrales de pompage-turbinage. Les trois plus importantes sont celles de Linthal (GL), Nant de Drance (VS) et Hongrin-Léman (VD). Diverses études ont montré qu’il existe encore un potentiel d’augmentation des capacité de stockage dans de telles installations. Et il est évident que les besoins vont croître, à mesure que la part des énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’éolien, va augmenter dans le mix énergétique. En effet, contrairement au nucléaire et au thermique, ces sources d’énergie ne produisent pas en ruban mais de façon intermittente. Mais si la Confédération a posé des objectifs concernant la production d’électricité hydraulique, elle n’a rien défini de tel concernant ce stockage à grande échelle, car les besoins dépendront de l’évolution future des sources de production.
Quel est le mode de fonctionnement de ce type de centrale ?
Ce n’est rien d’autre qu’une gigantesque batterie fonctionnant à l’eau. L’idée est de stocker l’énergie excédentaire sur le réseau électrique en pompant de l’eau du réservoir inférieur vers le réservoir supérieur. Et en cas de pic de consommation, on restitue cette énergie au réseau en turbinant. La centrale de Nant de Drance offre ainsi une capacité de stockage de 20 GWh, ce qui correspond à environ 400 000 batteries de voitures électriques. Pour vous donner une idée, vous pourriez parcourir 150 millions de kilomètres si vous aviez cette capacité sur une voiture électrique, soit la distance de la Terre au Soleil ! Le rendement de la centrale est par ailleurs très bon – plus de 80% pour un cycle complet de pompage-turbinage.
1.Lac du Vieux Emosson 2.Puits verticaux 3.Cavernes (machines et transformateurs) 4.Galerie d’amenée 5.Lac d’Emosson 1vert.Galerie d’accès principale depuis Le Châtelard 2vert.Galerie d’accès aux installations supérieures
L’eau stockée dans le barrage supérieur est turbinée lorsque les besoins en électricité sont importants pour fournir de l’énergie de pointe. Lorsque les besoins en électricité sont moindres ou que la production issue des nouvelles énergies renouvelables est excédentaire, l’eau est pompée du barrage inférieur vers le barrage supérieur pour stocker de l’énergie.
Comment Nant de Drance contribue-t-elle à l’équilibre des réseaux suisses et européens ?
La centrale est importante non seulement pour la Suisse, mais aussi pour l’ensemble du réseau européen – c’est d’ailleurs à cette échelle qu’elle a été dimensionnée. Elle contribue à compenser les variations de production, parfois imprévisibles, auxquelles il faut répondre très vite afin de maintenir l’équilibre entre production et consommation sur le réseau électrique. Et Nant de Drance est particulièrement flexible et réactive ! Elle est capable de passer en quelques minutes de zéro à 900 MW de puissance pour adapter l’offre à la demande, en pompant ou en turbinant. En 2024, la centrale a fonctionné en moyenne 18 heures sur 24 avec au moins l’une de ses six machines. Nous pompons souvent la nuit, quand les prix de l’électricité sont plus bas, et nous turbinons le matin, quand la demande d’électricité est plus forte. À midi, selon la production solaire, il s’agit généralement de pomper afin de stocker l’excédent. Et le soir, en principe, nous turbinons, car les prix de l’électricité sont plus élevés.
Plus de 2 milliards de francs ont été investis par les actionnaires de Nant de Drance. Quid de la rentabilité de telles installations ?
Ces projets n’ont de sens économique que sur le long terme (les concessions ont généralement une durée de 80 ans). Dans le cas de Nant de Drance, les contraintes techniques expliquent les coûts de génie civil particulièrement élevés, mais on peut parfaitement imaginer à l’avenir des projets avec un rapport coûts-puissance plus favorable, notamment à plus petite échelle. La rentabilité des centrales de pompage-turbinage – y compris Nant de Drance – dépendra évidemment des évolutions du marché de l’électricité, mais le besoin de stockage pour faire face aux fluctuations des énergies renouvelables justifie ces investissements stratégiques. Nant de Drance n’a bénéficié d’aucune subvention pour sa construction. Il est toutefois indispensable d’encourager les investisseurs à développer de nouvelles capacités de stockage ; ces centrales sont vraiment essentielles pour la sécurité d’approvisionnement. J’ajouterais enfin qu’un accord avec l’Europe est crucial pour la commercialisation de l’électricité. L’intégration de la Suisse au marché européen de l’énergie permettra aussi à Swissgrid d’intervenir dans divers mécanismes, pour un meilleur contrôle des flux d’électricité à travers la Suisse, ce qui contribuerait à améliorer encore la stabilité du réseau.
Propos recueillis par Elodie Maître-Arnaud
L’expert

Alain Sauthier
Alain Sauthier a rejoint Nant de Drance SA en 2013. Depuis 2021, il est directeur de cette entreprise exploitant la centrale de pompage turbinage éponyme, mise en service en 2022. Ingénieur EPFL en mécanique, il a été auparavant responsable de l’unité mécanique d’Hydro Exploitation SA puis membre de la direction d’Électricité d’Emosson SA.